Fragment d'enfance
- Anne Laure Joalland

- 15 sept.
- 3 min de lecture
"Si vous deviez décrire par un parfum ou une odeur, quel serait-il ou quelle serait-elle et pourquoi ?"
Telle est ma traditionnelle question, rite initiatique de passage de tout épisode de mon podcast Sens figuré.
Cette question, je me la suis posée et l'odeur qui m'est apparue spontanément est celle : des galettes de blé noir.
Une effluve de cette odeur à proximité des crêperies du quartier de Montparnasse et je suis replongée en enfance.
Prenez ma main, je vous y emmène !
Si certains ont comme plat familial de référence, le traditionnel poulet frites du dimanche midi, j'ai pour ma part, les galettes du mercredi midi.
De mon enfance jusqu'à mon départ à la fac à Rennes à mes 18 ans, mes mercredis midis ont été ponctués de ce plat traditionnel de Bretagne.
Il signait un rituel, un moment de vie en famille. Je les sentais avant même de passer le pas de sa porte et traverser le chemin en terre qui jouxtait la maison.
Ma grand-mère délayait toujours sa pâte à galettes, le matin voire la veille, pour la laisser reposer. Sa recette, aux proportions connues d'elle seule, qu'elle a tenté de nous transmettre à coup de "tu mets 1 œuf ou 2 & si tu n'en as pas, tu n'en mets pas..." "tu prends un verre. Lequel ? Celui que tu as sous la main et puis tu vois."
Je n'ai jamais vu, car je n'ai jamais osé la retenter, sachant pertinemment que je n'arriverai jamais à la reproduire & qu'elle serait synonyme de larmes aux yeux.
La pâte reposée, la matinée écoulée, ma grand-mère sortait du placard de lourdes pierres à galettes en fonte. Elle les huilait généreusement.
La magie pouvait opérer.

Elle déposait à l'aide d'une louche la pâte sur la lourde pierre, qu'elle faisait ensuite tournoyer à la force du poignet.
J'ai vainement tenté cette prouesse, d'apparence simple qui s'est soldée par un échec cuisant.
Les premières galettes étaient toujours un peu ratées, la pierre n'était pas assez chaude, la pâte trop liquide ou épaisse selon. Ces ratés étaient admis de facto et elle déposait les brisures de vereco jaune.
L'assiette se vidait rapidement, car à coups de morceaux de fondus déposés dessus, des petites mains venaient les manger sans rechigner.
L'épreuve des premières galettes passées, les choses sérieuses pouvaient commencer. Les pierres avaient atteint leur chaleur de croisière, les pâte pouvait chauffer s'étalant au gré des formes telles les vagues de l'océan.
Sous mes yeux ébahis, je voyais la pâte gris foncé redevenir plus claire, des bulles se
former et les rebords se soulever doucement, jusqu'à se décoller totalement.
C'est à ce moment précis, ni avant sous peine de se faire disputer, ni après, qu'il fallait retourner la galette.
La galette retournée, les commandes allaient bon train, de la complète à géométrie variable, avec l'œuf miroir ou écrasé, aux présences de tomates en fonction de la saisonnalité, laissaient ensuite place à la jambon gruyère, plus rarement à la sardine, pour se terminer en apothéose par les beurre sucre.
La galette beurre sucre marquait la fin du repas, mais aussi le début des hostilités avec notre grand-mère.
Nous les laissions caraméliser après les avoir saupoudrée de sucre. J'entends encore ma grand-mère soupirer et nous admonester d'un "tu vas abîmer mes pierres avec ton sucre !"
Je paierai cher aujourd'hui pour entendre à nouveau cette protestation....

Les pierres rangées et huilées jusqu'au mercredi suivant, la maison conservait pour quelques temps encore cette odeur grasse & sèche à la fois allant jusqu'au râpeux, aux senteurs de noisette, capitonneuse, qui ancre instantanément vers des éléments terriens.
Le temps d'un instant, je vous ai replongé dans les mercredis midi de ma grand-mère, souvenirs simples & authentiques d'une enfance fondatrice qui me guide aujourd'hui lorsque ma boussole pourrait perdre le nord...
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